"Qu’est-ce
qui s’est passé le 24 avril 1915 ? C’est une rafle, une déportation de 300 à 400 Arméniens de la capitale,
donc de Constantinople et d’Istanbul qui ont été arrêtés et déportés vers
l’intérieur de l’empire ottoman. Or, à ce moment-là, le jour-même, le délégué
apostolique, Mgr Angelo Maria Dolci était informé de ces évènements puisque
deux jours après, le 24 avril (c’est une lettre du 27 avril si je ne me
trompe), il envoie un rapport au Vatican
en relatant cet évènement, cette rafle de 300-400 Arméniens déportés à
l’intérieur de l’empire ottoman. Alors, petit à petit, le délégué apostolique
vient recueillir d’autres informations. Il sera informé par les évêques
arméniens eux-mêmes mais également par les missionnaires franciscains,
dominicains et également jésuites qui étaient présents dans l’empire ottoman.
Il va être informé, il va recueillir des rapports de ces gens qui sont des
témoins oculaires de ce qui se passe aujourd’hui. Par exemple, à Mardin,
il y a eu lieu ceci ou à Trébizonde, hier, il y a eu une déportation. Donc, ces
personnes, ces religieux vont lui écrire des rapports dont il tiendra au courant
le Vatican. Qu’est-ce que le Vatican a fait ? Et bien, le Pape a écrit deux
fois au sultan ottoman, Mahomet V, qui était sultan à cette époque-là pour
arrêter les massacres, pour dire «Voilà, je suis informé de ce qui se passe
dans l’empire et je vous supplie d’arrêter ces massacres ». Alors, la première
lettre du Pape Benoît XV est datée du 10 septembre 1915.
Alors, si vous me permettez, je peux citer un bout de cette
lettre que j’ai ici devant moi « Majesté, tandis que le chagrin pour les
horreurs de la lutte formidable dans laquelle, avec les grandes nations de
l’Europe, se trouve engagé le puissant empire de votre majesté (l’empire
ottoman) nous déchire l’âme l’écho très douloureux des gémissements d’un peuple
entier, qui dans les vastes domaines des ottomans, est soumis à d’inénarrables
souffrances arrivées jusqu’à nous. La nation arménienne a déjà vu beaucoup de
ses fils envoyés à la mort, d’autres très nombreux jetés en prison ou envoyés
en exil parmi lesquels plusieurs ecclésiastiques et même quelques évêques. Et
maintenant, il nous est référé que des populations entières de villages et de
villes sont contraintes d’abandonner leurs maisons pour se transférer au milieu
de grandes plaines et de souffrances, en des lieux de concentration lointains
ou en plus des douleurs morales, elles ont à supporter les privations de la
plus noire misère et même des tortures de la faim. Nous croyons, Sire, que de
tels excès ont lieu contre la volonté du gouvernement de votre majesté ». Il y
a une autre lettre puisque les massacres vont continuer.
À la suite de la lettre du Pape, les massacres vont un peu
se ralentir. Les choses vont un peu se calmer mais pas d’ordre à arrêter
nettement les massacres. Les massacres vont continuer et c’est ce qui donnera
lieu à une seconde lettre du Pape Benoît XV au même sultan, le sultan Mahomet
V, qui est datée du 12 mars 1918. Et il y a une lettre qui, à mon avis, est
méconnue (moi je ne la connaissais pas du tout), c’est une lettre que le Pape
envoie trois jours avant la fin de la première Guerre Mondiale, c’est-à-dire le
8 novembre 1918, trois jours avant l’armistice du 11 novembre. Il envoie une lettre au
président Wilson, le président des États-Unis où le Pape milite en faveur de
l’indépendance de l’Arménie. Le Pape, dans une note du 1° aout 1917, fait allusion à cette note dans sa
lettre. C’était une
note en faveur de la paix. Benoît XV intervient à plusieurs reprises au cours
de la première Guerre Mondiale en faveur de la paix. La note du 1°aout 1917
fait mention de différents points : l’échange de prisonniers de guerre, etc.
Mais un des points, c’est l’indépendance de l’Arménie, c’est la création d’une
Arménie indépendante. Ce sera d’ailleurs cette note de paix du 1° aout 1917 qui
va inspirer directement les 14 points du président Wilson. Il présentera, après
la 1°Guerre Mondiale, lors de la conférence de paix, ces 14 points qui sont
inspirés par la note de paix du Pape Benoît XV.
Le
Saint-Siège a donc bien-sûr travaillé, vous l’avez longuement évoqué, sur le
plan diplomatique. Est-ce qu’on peut dire qu’il est intervenu à d’autres
niveaux également ?
Au niveau
humanitaire. L’effort du Saint-Siège n’est pas simplement un effort
diplomatique politique mais également au niveau humanitaire. Il faut se
rappeler qu’au cours de la première guerre mondiale, l’Unicef, le Haut
Commissariat pour les Réfugiés, ces organisations internationales n’existaient
pas à l’époque. Lors de la
première guerre mondiale, qu’est-ce qui existait ? La Croix-Rouge et puis, l’Église catholique,
également les protestants. L’Église catholique et le Pape se sont investis sur le plan
humanitaire en envoyant des sommes d’argent pour les réfugiés, les rescapés,
les orphelins. Et c’est un point malheureusement peu connu. Par initiative du
délégué apostolique, Mgr Angelo Maria Dolci (son surnom est l’ange des
Arméniens), le Pape fonde un orphelinat
« Benoît XV » pour les orphelins arméniens à Constantinople. Et ces
orphelins sont ensuite venus en Italie. Et où sont-ils venus en Italie ? Ils
ont été hébergés au palais pontifical à Castel Gandolfo. Ces orphelins
sont restés là à peu près un an. Ils étaient hébergés par le Pape lui-même
avant d’être transféré à Turin. [...]"