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segunda-feira, 26 de agosto de 2019

L’orgue de Clairvaux et le moine André


En 1743, un jeune homme pâle et les vêtements en désordre, vint se présenter aux portes de l'abbaye de Clairvaux. Ce ne fut pas un moindre étonnement pour les religieux qui le reçurent, quand il leur apprit qu’il venait se faire moine. Le sourire qui parut sur leurs lèvres resserra bien cruellement le cœur du jeune homme. Il n'avait pas songé que, pour être admis dans l'ordre, il fallait un nom et des richesses; que lui n’avait jamais eu de richesses et n’avait pas encore de nom : on le lui apprit.

Cependant, comme il était languissant et accablé de fatigue, on le conduisit à la salle d’asile ; là, il s’assit tout rêveur dans l'embrasure d'une fenêtre en face de la grande flèche de Saint-Bernard qu'il contempla tristement ; puis ses yeux, en se  portant autour de lui, rencontrèrent ceux d’un vieillard qui le considérait avec un
vif intérêt : c'était le prieur du monastère. Le premier mouvement du jeune homme fut de se jeter à ses pieds, en s'écriant : « Vous du moins, ne me repoussez pas, mon père !»

Il y avait dans son élan quelque chose de si entraînant, sa voix était si persuasive,  ses grands yeux humides de larmes exprimaient tant de souffrance, que le bon  moine, tout ému, le releva pour le serrer dans ses bras. Puis regardant avec attendrissement sa belle figure où se révélait une âme pure et candide : – « Que me demandez-vous, mon enfant ?» dit-il avec bonté.

« Je suis musicien »

Le jeune homme lui déclara d’une voix tremblante ce qui l'amenait à l'abbaye.

Le vieillard exprima la plus grande surprise. – « Oh ! Ne me regardez pas ainsi, se hâta d'ajouter le suppliant ; je mourrai, mon père, si vous me chassez d’ici. Je suis pauvre, mais honnête ! Je suis musicien, laissez-moi toucher les orgues du  monastère... mais par Dieu ne me refusez pas !»

Les regards de l’artiste avaient pris une expression si élevée, sa main s'était portée avec tant de noblesse sur son cœur qui battait avec violence, que le prieur fut  subjugué par un ascendant indicible. Il rêva quelques instants. « Je reviendrai ce soir, » dit-il à voix basse, et il s'éloigna.

L'orgue de l'abbaye de Clairvaux se trouve
aujourd'hui à la Cathédrale de Troyes
Le lendemain était un dimanche. Les moines étaient rangés en longue file dans l'église. Le prêtre allait monter à l'autel. Une surprise s'empara de tous les religieux, quand une ouverture, telle qu'on n'en avait point entendu jusqu'alors, s'élança de l'orgue en brillants accords, puis retomba mollement sur un mode doux et plaintif de la plus pure expression.

Tous les yeux s'étaient portés vers la voûte pour découvrir le génie nouveau qui  venait d'animer de tant de vie l’instrument dont les concerts passaient auparavant inaperçus.

Cette magnifique exécution n'était pas l'ouvrage du vieux maître de chapelle : lui se tenait debout, triste et pensif, à l'angle de l'orgue ; tandis qu'un jeune homme, brillant d’enthousiasme et de génie, quittait le clavier et venait s'agenouiller contre la rampe de la galerie, en face du chœur. Ce jeune homme, c'était le  suppliant de la veille. Dès lors, ce fut le moine André.

Quels motifs avaient déterminé le musicien à s'enfermer dans un cloître ? On ne le  sut jamais. « Comme il était arrivé, dit le sous-prieur, Gérard de Margerie, il s'en fut  dedans la grâce de notre sire. Durant dix années céans, il ne s'ouvrit à aucun,  touchant les peines de son esprit.»

Pendant ces dix années, il se tint constamment seul, livré à d'ardentes méditations.

Tous les soirs, au moment où le soleil s'enfonçait derrière la forêt de Clairvaux, une  ombre se glissait le long des cloîtres et disparaissait sous les portes de l'église : c'était le moine André qui se rendait aux orgues, son asile de prédilection et de  délices. Il parcourait lentement les galeries, la tête penchée sur sa poitrine, les  joues pâles et creuses. Sa santé succombait aux transports d'une imagination brûlante. Mais quand le soleil sur son déclin frappait les vitraux coloriés et les tuyaux brillants de l'orgue, et remplissait la voûte de lumière, au milieu de ce jour fantastique, la tête d'André apparaissait resplendissante comme d'une auréole de gloire. En ce moment, son âme ardente était dans toute la force de l'inspiration, ses yeux lançaient des éclairs de génie, et sous sa main s'éveillait comme un souffle léger et mélancolique qui traversait le silence des voûtes. Où il était beau à voir, c'était surtout à l'heure de minuit, quand les cloches prenaient joyeusement leur  volée par les airs, quand l'église se remplissait de lumières, et que dans 'enfoncement s'avançaient les longs rangs des moines en blancs surplis.

L’orgue s’éveillait

Penché en avant sur les touches, le cœur palpitant d'impatience, le regard tout en feu, André attendait le signal, et faisait jaillir tout ce qui bouillonnait d'harmonie dans son âme. L'orgue s'éveillait grand et terrible, semblable aux trompettes du jugement qui seraient venues rompre le calme du vaste édifice. Puis c'étaient des  accents douloureux qui venaient à tous les cœurs, des soupirs qui répondaient à  d'autres soupirs, ou bien une voix pure, ailée, qui semblait arriver du ciel pour attirer des âmes qui n'appartenaient déjà plus au monde.

Cette vie mystérieuse  s'usa promptement sous les atteintes du génie. André fut six mois languissant sur  un lit de douleur : on n'attendait plus que sa fin, la nuit de Noël arriva.

La musique qui s’achèvera au Ciel

Depuis six mois l'orgue était muet quand les moines entrèrent dans l’église, les derniers rayons de la lune se reflétaient sur ses longs tuyaux. Chacun y porta les  yeux, puis les rabaissa tristement. Les matines s'étaient chantées sans la belle musique qui chaque année répandait une céleste joie sur la solennité, qui  maintenant, sans elle, ressemblait à une cérémonie funéraire. Le prêtre s'avança vers l’autel, tous les yeux se levèrent vers les orgues, ô surprise ! On y aperçoit une lumière, et aussitôt les cent voix du géant font retentir la nef.

Jamais tant de richesse et d'harmonie n'avaient été déployées. C'était un concert à  la fois plus imposant que les voix des tempêtes, plus doux que les chœurs aériens  des vierges : c'était comme un des chants éternels que les séraphins venaient apporter à la terre. Le sacrifice divin avait été suspendu, tout le monastère était muet d'admiration. Tout- à-coup la magique symphonie s'arrête, une note plaintive retentit encore ..., et puis on n’entendit plus rien. Un moine courut aux orgues. La place du clavier était vide ; mais sur le parquet gisait un homme mort : c’était  André qui était venu commencer le dernier cantique ineffable qu'il devait achever au ciel. » (Le Propagateur de l'Aube 1836)