SAINT GUILLAUME, ARCHEVÊQUE DE BOURGES
Saint
Guillaume appartenait à la famille des comtes de Nivernais, alliée aux rois de
France et aux seigneurs de Courtenay, qui donnèrent trois empereurs à
Constantinople et un roi à Jérusalem. Par sa mère, Maëntia, il semble encore se
rattacher au prédicateur de la première croisade, Pierre l'Ermite. Celui-ci,
avant d'embrasser la vie monastique, avait en effet été marié. Ses enfants
héritèrent de son nom et fondèrent la famille de l'Hermite ; c'est aussi le nom
que portait le frère de Maëntia, archidiacre de Soissons.
Né vers
1120, le petit Guillaume montra dès son enfance une grande inclination aux
choses de la piété; c'est pourquoi ses parents le confièrent de fort bonne
heure à son oncle Pierre l'Hermite, qui le fit élever avec grand soin et lui
transmit même son nom. Sous cette direction, il se forma à une pureté d'âme et
de corps dont ont témoigné ses confesseurs et qui le prédestinait à la haute et
sainte fonction qu'il devait un jour remplir.
Bientôt,
selon l'usage du temps, il fut pourvu d'un canonicat dans l'église de Soissons,
puis dans celle de Paris. Mais il aspirait à une union plus étroite avec Dieu.
Aussi ne tarda-t-il pas à s'enfermer dans le monastère de Grandmont, au diocèse
de Limoges. Malheureusement de fâcheuses discordes s'élevèrent parmi les
religieux, de Grandmont et troublèrent la paix que Guillaume était venu
chercher. Il profita donc de la permission accordée à tous par le pape de
passer dans un autre Ordre, et, choisissant celui des Cisterciens, entra à
l'abbaye de Pontigny. Ses mérites ne tardèrent pas à le faire distinguer.
D'abord prieur de cette abbaye, il fut ensuite appelé à diriger, comme abbé,
deux monastères issus d'elle : Fontaine-Jean, au diocèse de Sens, et Charlis,
près de Senlis.
Il exerça
ces charges en y montrant particulièrement une mansuétude, une humilité, une
mortification qui, bien plus que ses paroles, étaient une prédication pour
tous. Depuis qu'il quitta le monde, jamais il ne mangea de viande, même pour
raison de santé. Il se gardait de toute attaque d'amour-propre par une
simplicité telle, qu'il jugeait meilleure une modeste obscurité qu'un acte de
vertu qui eût attiré les regards.
Or, en 1199,
l'archevêque de Bourges, Henri de Sully, mourut. Les chanoines, réunis pour lui
désigner un successeur, ne pouvant se mettre d'accord, firent appel aux lumières
de Tévêque de Paris, Eudes, qui jadis avait eu la charge de chantre dans' leur
chapitre et jouissait d'une grande réputation de prudence et de sainteté. En sa
présence, ils résolurent de limiter leur choix à l'un des chefs de trois
abbayes de l'ordre de Cîteaux, parmi lesquels celui de Charlis. A lui de dé^der
entre eux. L'évêque voulut prendre le temps de la prière et de la réflexion. Il
y consacra la nuit entière dans l'église de Notre-Dame ; le lendemain matin, en
présence de deux hommes de haute vertu, qui plus tard devaient gouverner, l'un
l'église de Tours, l'autre celle de Meaux, il déposa sous la nappe de l'autel
où il allait célébrer la sainte messe trois billets portant le nom des trois
abbés. Le sacrifice achevé, et après une longue prière qui demandait à Dieu de
se prononcer lui-même en faveur du plus digne, sa main saisit un billet : il
portait le nom de Guillaume de Charlis. Alors, avec ses deux compagnons, il
allait trouver les chanoines qui, réunis, l'attendaient. Mais à sa rencontre il
vit soudain venir la majorité d'entre eux. D'une seule voix ils acclamaient
Guillaume, demandant qu'on leur donnât pour évêque celui qui, par ses mœurs,
par sa science, par sa haute naissance, méritait d'être préféré à tous. Dans
cet hommage spontané, Eudes vit la confirmation de la réponse qu'il avait
demandée à Dieu. Et tous, se rendant à la cathédrale de Saint-Étienne,
rendirent grâce au Maître du sort et des cœurs et proclamèrent à l'envi
Guillaume archevêque de Bourges et primat d'Aquitaine.
Mais ce ne
fut pas sans peine que l'humilité du saint abbé se soumit à l'élection. Il
fallut que l'abbé de Cîteaux, chef de son ordre, lui fit une obligation
d'accepter l'honneur où il ne voyait qu'un fardeau ; ce fut aussi le
commandement que lui donna le légat du Saint-Père. Il ne lui restait qu'à
courber la tête ; il le fit en pleurant ; la chère abbaye qui lui avait donné
la paix, les frères qu'il dirigeait avec une paternelle douceur, il les quitta
dans les larmes et en se recommandant aux prières des plus petits.
Archevêque,
Guillaume ne modifia ni ses habitudes ni son caractère. Au milieu des richesses
et des honneurs qu'il subissait, il garda son lourd et simple vêtement de
moine, qui recouvrait toujours un cilice. Sa tablé devait être somptueusement
servie, ouverte aux hôtes les plus nobles ; mais lui-même ne consentit jamais à
toucher aux viandes qui la couvraient. Son humilité, sa patience, son constant
souci du bien de ses ouailles, ne furent pas une fois en défaut. Il se
souvenait d'être le disciple de Celui qui était venu, non pour être servi, mais
pour servir. Et son indulgence allait si loin, qu'à quelques-uns elle semblait
de la faiblesse. De fait, il souffrait vraiment lorsqu'il entendait une voix amère,
bien que juste, relever les fautes les plus évidentes du prochain. Avec douceur
alors il disait : « Frère, si vous repreniez durement un homme pour le frisson
que lui donne la fièvre, pensez-vous que vos reproches l'empêcheraient de
frissonner? Prions pour les pécheurs, compatissons à leur faiblesse, plutôt que
de les réprimander avec aigreur. » Mais cette suavité évangélique, quand il
était nécessaire, savait faire retraite devant la juste sévérité, ou plutôt
s'accommodait avec elle. Aussi leur alliance emportait la victoire, bien plus
encore sur les cœurs que dans les faits. Il eut à lutter quelque temps contre
les prétentions injustes des clercs de sa cathédrale ; ceux-ci s'emportèrent
jusqu'à se répandre contre lui en de graves outrages. Sans céder sur ce qu'il
considérait comme ses droits d'évêque, il montra pourtant une telle mansuétude
que les plus endurcis s'avouèrent vaincus. Le repentir des coupables alla si
loin qu'ils décidèrent de lui abandonner, à lui et à ses successeurs, le droit
de nommer aux prébendes, droit qui jusqu'alors leur appartenait. Mais sa
modération, cette fois encore, s'opposa à ce sacrifice; il se crut suffisamment
récompensé par la paix, qui dès lors ne cessa de régner dans son église.
La fermeté
apostolique du Saint se montra mieux encore lorsque le divorce scandaleux de
Philippe-Auguste contraignit le pape à jeter l'interdit sur tout le royaume.
C'est en 1196 que le roi, qui depuis trois ans avait répudié Ingeburge de
Danemark, osa s'unir à Agnès de Méranie ; deux ans plus tard, Innocent III, ne
pouvant vaincre l'obstination des coupables, se résigna à une mesure de rigueur
seule capable de les réduire. L'interdit prononcé, la vie religieuse s'éteignit
en France. Le roi, irrité, s'efforça d'empêcher les évêques d'obéir aux
prescriptions du pape. S'il y en eut qui furent assez faibles pour céder à ses
injonctions, Guillaume de Bourges leur opposa une résistance, respectueuse sans
doute, mais inébranlable. Ni exhortations, ni promesses de faveurs, ni menaces
de déchéance, de confiscation, même d'exil, ne purent rien sur l'âme doucement
énergique du saint prélat. Du reste Philippe-Auguste comprit et estima une
conduite si vraiment ecclésiastique. Quand, revenu à son devoir, il eut fait sa
paix avec l'Église, il montra au Saint qu'elle lui avait inspiré de la
confiance et de la vénération.
En 1208,
Guillaume avait quatre-vingt-huit ans et soupirait vers le repos de la vie
éternelle. Néanmoins quand, cette année même, se décida la croisade contre les
Albigeois, il fut des premiers à la prêcher, à s'y enrôler. Son diocèse avait
beaucoup souffert des entreprises hérétiques, et du reste il était prêt
toujours à se donner au service et au bien de l'Église. Ses exhortations
entraînèrent l'adhésion de son peuple ; mais lui-même n'eut pas le temps de se
mettre à leur tête. La mort de deux chers amis dans le Christ, Eudes, évêque de
Paris, et Godefroy, évêque de Tours, en l'affligeant grandement, lui avait
semblé marquer le terme prochain de sa propre vie. Il devait la donner au
service des âmes. Rien n'est plus touchant que le récit de ses derniers jours.
Il avait
célébré solennellement avec son peuple les fêtes de Noël. La veille de
l'Epiphanie, malgré la fièvre qui déjà le tenait, il le réunit encore dans
l'église cathédrale, et ses paroles qui l'exhortèrent à ne pas se laisser
surprendre par la traîtrise de la mort, étaient comme son dernier adieu. Sa
bénédiction donnée, il revint seul, tête nue à son habitude et sans aide, vers
sa demeure. Mais le froid du vaste vaisseau de l'église, la rigueur extrême de
la température ne pouvaient qu'aggraver son mal. Le 9 janvier, la fièvre
l'amenait à l'extrémité. Il fit convoquer les frères qu'il avait toujours près
de lui et reçut l'extrême-onction, humblement et dévotement. Puis il supplia
qu'on lui donnât la sainte Eucharistie. Quand Notre-Seigneur entra dans sa
chambre, il ramassa toutes ses forces : il se lève, se vêt et, à la stupeur des
assistants qui l'avaient vu presque inanimé, va au-devant de son divin Maître,
se prosterne devant lui à plusieurs reprises. Depuis deux jours il ne pouvait
presque plus parler. Pourtant, à ce moment suprême, il prolonge sa prière d'une
voix éteinte, mais courageuse toujours ; il recommande à son Sauveur son
dernier combat, lui demande d'achever de purifier son âme. Puis les mains
étendues en croix, les yeux au ciel, il reçoit le Corps divin avec des larmes
de foi.
Il vécut
quelques heures encore, recueilli dans une prière que l'on voyait agiter
doucement ses lèvres. La nuit était venue ; il se fit apporter ses vêtements
épiscopaux, choisit entre eux les plus modestes, les moins riches, ceux qu'il
portait à sa consécration et réservait pour sa sépulture. Et puis, pensant
qu'il ne verrait pas le jour, il voulut anticiper là récitation de l'office :
il fit signe aux assistants et, marquant de la croix ses lèvres et son cœur, il
commença de sa voix mourante : « Domine, labia mea aperies... » Il ne
put en dire plus. A sa place, un religieux, son ami préféré, continua la
prière, que tous poursuivirent jusqu'à la fin des heures canoniales.
Alors
l'évêque fait signe de le déposer à terre. « Il ne convient pas que le chrétien
meurt sinon sur la cendre et sous le cilice. » On répand donc de la cendre sur
le sol; on y couche le Saint, qui, à l'insu presque de tous, était encore
revêtu du cilice qu'il ne quittait point. Au bout de quelques instants, en
donnant une dernière bénédiction à ses frères, il exhale son âme entre les
mains de Dieu.