Un paradis social
peut être un enfer spirituel ; – auquel cas, d’ailleurs, il cesserait bien vite
d’être même un paradis social. Il peut être aussi tout simplement un désert
spirituel, et s’il dure, alors ce ne peut être qu’au bénéfice d’une humanité
diminuée, atrophiée.
Aussi tout comme
il y aurait hypocrisie à négliger l’œuvre sociale tant que n’est pas accomplie
l’œuvre, jamais achevée, d’éducation spirituelle, tout de même il serait
inhumain de laisser ignorer à l’homme sa plus haute noblesse, de le détourner
de lui-même et d’étouffer en lui la nostalgie de sa patrie divine tant que
n’est pas achevée l’indispensable œuvre sociale, – elle-même sans doute à
jamais inachevable.
Il faut appliquer
ici, tout en la retournant, la consigne marxiste selon laquelle doivent
s’épauler réciproquement l’action révolutionnaire et la lutte antireligieuse en
vue de la libération totale.
Les deux efforts,
social et spirituel, doivent aller de pair. Chacun est garant du sérieux de
l’autre et de son authenticité. Sans le souci de ses conséquences sociales et
temporelles, la vie spirituelle est faussée ; sans approfondissement spirituel,
tout progrès social demeure indigne de l’homme et peut finalement se retourner
contre lui. Dieu, pour qui l’homme est fait, ne peut être atteint que par leur
convergence. ( Henri de Lubac, Paradoxes, Cerf, 1999)